L'ADMINISTRATION DU RAMESSEUM : DE LA GLOIRE A LA DECADENCE D'UN TEMPLE DE MILLIONS D'ANNEES; DES FONCTIONNAIRES AU SERVICE DE L'INSTITUTION ROYALE

par Christian LEBLANC*


Le Ramesseum
Quelques dignitaires
Plan général





Depuis la XIIIème dynastie, période qui semble correspondre à leur apparition, les temples de millions d'années ont connu une évolution significative jusqu'à l'époque ramesside et même un peu au-delà puisque les derniers exemples recensés sont contemporains de la XXIIème dynastie. Mémoriaux à fonction liturgique, mais aussi centres économiques et administratifs, ils se sont développés tout au long de la vallée, certains même furent construits en Nubie et au Soudan. Bien que ces monuments aient été pendant trop longtemps perçus simplement comme des temples funéraires, de récentes recherches ont enfin clairement démontré que leur vocation initiale était surtout associée à la divinisation royale, celle-ci pouvant être proclamée durant le règne du souverain, sans attendre sa métamorphose en Osiris-roi ou sa transfiguration dans l'autre-monde (1).
Œuvres personnelles, conçues et mises en activité du vivant du pharaon, ces fondations avaient également pour but de glorifier et d'éterniser, par un imposant programme architectural et iconographique, les grandes actions qui furent tout à l'honneur de leurs constructeurs respectifs (2). Que ce culte royal puisse perdurer le plus longtemps possible après l'existence terrestre de tout pharaon était incontestablement le voeu ou mieux le défi que l'institution devait relever, justifiant le qualificatif de «temple de millions d'années» attribué à ce type d'édifices qui, par ce concept de pérennité indéfinie, entraient un peu en concurrence avec les temples divins proprement dits. Sans doute est-ce encore la raison pour laquelle ces mémoriaux furent le plus souvent considérés comme de véritables biens de la Couronne et qu'à la disparition physique de leur bâtisseur, il revenait à ses successeurs sur le trône d'Horus de les entretenir et de continuer à en assurer la gestion tant religieuse qu' économique.

À l'occident de Thèbes, plusieurs de ces temples ont été construits durant le Nouvel Empire. Certains plus grandioses que d'autres, suivant la durée de règne de leur bâtisseur, la prospérité du royaume, voire les événements plus ou moins providentiels ou turbulents du moment. À en juger par son étendue initiale, celui d'Amenhotep III fut incontestablement le plus développé de ceux qui existaient à la XVIIIème dynastie, bien qu'il soit aujourd'hui l'un des plus ruinés (3). Pour l'époque ramesside, ceux de Ramsès II et de Ramsès III, beaucoup mieux préservés, présentent l'avantage de pouvoir se compléter : si celui de Medinet Habou a conservé la presque totalité de son architecture de pierre, symbole d'exaltation du pouvoir royal, le Ramesseum dispose, même s'il a souffert de démantèlements au fil des siècles, de presque toutes ses dépendances en brique crue où se déroulait une grande partie des activités associées à son fonctionnement. Venant en complément des fouilles archéologiques effectuées dans son enceinte ces dernières années, l'étude des sources documentaires permet aujourd'hui de reconstituer, même si ce n'est encore que partiellement, les dispositifs mis en place par l'institution royale, pour garantir la bonne marche du «Château d'Ousermaâtrê Setepenrê» et promouvoir sinon maintenir son rayonnement à l'échelle de la ville ou du nome (4).



Œuvre de deux célèbres «conducteurs de travaux», Penrê et Ameneminet (5), le Ramesseum occupait, au temps de sa splendeur, un espace de près de dix hectares, entre les temples d'Amenhotep II au nord, et de Thoutmosis IV, au sud. Son administration devait être très structurée comme le suggèrent déjà les différentes fonctions qui répondent à une hiérarchie où coexistent de nombreux grades et échelons allant d'une autorité locale nommée par le roi à tout un ensemble d'employés et de personnel subalterne, chacun devant assumer les responsabilités de sa charge dans les rouages de l'organisation temporelle.


les Hauts Dignitaires:

Les gouverneurs du Château

Penrê


Ameneminet


Le «gouverneur du château» avait l'éminente position de diriger la fondation royale. Il n'était pas nécessairement recruté sur place, mais pouvait venir d'une autre ville et séjourner dans le cadre de missions d'inspection. Tel fut le cas, par exemple, du memphite Ramsesnakht qui occupa ce poste dans la première partie du règne. D'autres distingués notables prirent le relais, comme Hori, Nebsoumenou (TT.183), Horemheb, Naherhou, Ameneminet (homonyme du «conducteur de travaux»), Nedjem, peut-être encore Khaemtery, sans oublier que des fonctionnaires qui n'étaient pas de souche égyptienne, comme le général Ourkhiya et son fils Youpa, d'origine probablement hourrite, en furent également titulaires. Le plus souvent, cet intendant principal, ou son substitut le cas échéant, cumulait cette lourde charge avec celle de «directeur du Trésor». Tia, beau-frère de Ramsès II, l'avait exercée sans doute peu de temps après l'inauguration du temple. On peut imaginer que son office se trouvait dans le quartier nord-ouest du Ramesseum, non loin d'un long bâtiment à colonnes, qui fut identifié pour être le Per-Hedj ou Trésor. S'il n'a laissé aucun témoignage sur place, son image avait été reproduite en revanche, accompagnée de son nom et de sa qualité, sur une grande stèle brisée et remployée dans le temple de Deir el-Bahari (6). Elle provenait certainement du mémorial de Ramsès II. Pour accomplir ses tâches, ce dignitaire avait tout un réseau de collaborateurs à sa disposition. Les archives nous ont conservé les noms de plusieurs d'entre eux, chefs, scribes ou délégués du Trésor, tels Paytenheb, Amenemheb, Paqay, Paÿ, Amenemipet (TT.374), et un certain Mahou (TT.257), dont la fonction peut laisser supposer qu'il était également rattaché à cette administration.




Amenemipet, TT177, Scribe Royal

Tia, fragments de stèle retrouvés à Deir-el-Bahari

Ourkhiya, grand intendant

et son fils Youpa, grand intendant(Turin)

Stèle de Youpa, musée du Louvre

Dépositaire de richesses considérables qu'il fallait réceptionner, enregistrer, protéger, voire écouler lors de la célébration des rituels religieux mais aussi pour la rétribution du personnel au service de l'institution, le temple était un véritable satellite économique du pouvoir central et une forteresse maintenue sous haute surveillance. Des scribes permanents y avaient qualité de régisseurs, comme Djehoutyherhesef, Amenemipet (TT.177), Iry, Pentaouret et Sedy, ces deux derniers bien après la mort de Ramsès II. L'armée comme la police y étaient également présentes, sans doute pour régenter la conscription locale, éviter toute corruption et régler les litiges qui pouvaient survenir au sein de la fondation. Plusieurs scribes de l'armée sont attestés (Neboua, Aboumeret, Hormenou), de même qu'un scribe des recrues (Nebmehyt, TT.170), tous placés certainement sous l'autorité de l'administrateur du temple qui, lui-même, était souvent détenteur d'une haute fonction militaire. Un corps de policiers et d'inspecteurs, composé de Pakharou, Neferhotep et de bien d'autres encore, devait y assurer l'ordre, et un tribunal (kenbet) dont on n'a pas retrouvé jusqu'ici l'emplacement intra muros, avait à juger les exactions, désaccords ou conflits qui, au fil du temps, intervenaient entre certains employés et l'administration. Probablement est-ce dans ce service juridique que devait officier Piaÿ et, plus tard encore, sous le règne de Ramsès III, Hednakht, scribe de la natte (ou plutôt du cadastre) (7). Monde clos en apparence, le Ramesseum était néanmoins en relation permanente avec les responsables du pouvoir central comme le vizir du sud et ses délégués (8), ou encore avec les autorités de Thèbes, qu'il s'agisse du maire ou gouverneur de l'occident de la ville (9), voire des scribes du nome qui avaient à conduire les affaires concernant cette partie du territoire (10).


Khaÿ directeur du trésor, scribe, royal...

TT 341 Resemhebsed frère de Nakhtamon
"supérieur de l'autel, chef des bouchers de la maison d'Ousermaatrâ-Setepenrâ"

Tombe de Narkhtamon
déformation du crâne inhabituelle

Dans l'enceinte du temenos, autour de l'édifice réservé aux cultes et aux liturgies, l'espace était occupé par tout un ensemble de bâtiments en brique crue. Au nord et à l'ouest, se tenaient les magasins pour l'huile, le vin, les céréales, les graisses, le miel et divers autres produits et denrées qui convergeaient des domaines royaux ou étaient mis en jarres sur place. Des officines où l'on conservait des matières précieuses, ou l'on préparait des substances aromatiques, se trouvaient encore dans ce quartier du temple ainsi que le laissent deviner certains indices. Là encore, tout un personnel accomplissait son travail, en fonction d'une stricte hiérarchie. Il y avait les responsables des magasins, les directeurs des greniers et des celliers qui, comme Piaÿ (TT.263) et Saaset disposaient d'adjoints pour contrôler et consigner les arrivages et les sorties de produits. Ramsesemperrê et Horimès, que les sources désignent comme étant des chefs-gardiens, eurent ce rôle d'intendants, le deuxième ayant été plus précisément rattaché au Trésor. Affectés à des secteurs sensibles qui touchaient l'économie, ils avaient eux-mêmes d'autres hommes sous leurs ordres, comme ce Penrenenoutet «de Thèbes», «gardien du château de millions d’années», que mentionne et représente un ex-voto jadis découvert par W. Flinders Petrie. Sur la stèle BM 796 du British Museum, Horemhat, Soutymès, Neferrenpet, Nakhtouemouaset, Khonsou, Ptahemheb et quelques autres encore, occupaient probablement aussi cette même activité au Ramesseum, sous la tutelle de leur supérieur, Ramsesemperrê (11).






Côté sud, prenaient place les ateliers, les cuisines, les boulangeries, un économat, et même une école dont les ruines ont été fouillées et restaurées après avoir livré une documentation archéologique qui confirme la vocation des lieux. On sait qu'un certain Samout et notamment son fils, Amenwahsou (propriétaire de la TT.111) comme certains de ses enfants, furent en poste dans cet établissement, en qualité de scribes de la «Maison de Vie» et des archives sacrées du Ramesseum. Ils y enseignaient l'écriture hiératique et hiéroglyphique, la rédaction de sagesses et de préceptes moraux, mais également le dessin et la sculpture, et formaient ainsi les «scribes des contours» à leur futur métier (12). C'est dans ces quartiers qu'opéraient encore de nombreux travailleurs, soit dans l'artisanat de la pierre et des métaux ou dans les ateliers de tissage que dirigeait Neferrenpet (TT.133), soit encore dans deux grandes unités pourvues de fourneaux, où cuisiniers, bouchers et marmitons, sous l'autorité de Nakhtamon (TT.341), chef des autels du temple et de Resemhebsed, supérieur des bouchers, préparaient pains, galettes, gâteaux, et autres denrées rôties ou grillées, destinés à nourrir les dieux-résidents et la communauté qui était à leur service. L'approvisionnement en eau était assuré par un fonctionnaire spécifique et Houy, comme nous le révèle une statuette mise au jour à Deir Rifeh, en avait été responsable durant une partie du règne de Ramsès II. Des fouilles anciennes avaient identifié l'existence de plusieurs puits dans l'enceinte du temenos, mais l'eau alimentait également, par des canaux, les vastes et luxuriants jardins du temple que supervisait Nedjemger (TT.138) et ses subordonnés. Situés à la lisière nord-est du parvis, on y cultivait, près d'un bassin, des fleurs pour orner les tables d'offrandes. Des palmiers-dattiers ainsi que des sycomores en agrémentaient les espaces ombragés que l'on irriguait au moyen des chadoufs. Comme à Medinet Habou, proche du débarcadère et du quai d'accès du Ramesseum, devait vaquer toute une équipe de bateliers et de matelots, chargée d'arraisonner les chalands et de décharger les produits ou matériaux que l'on réservait aux différentes officines.




Le palais royal qui communiquait avec la première cour du temple, disposait d'un personnel d'intendants, de serviteurs et de gardiens (13) qui avait à entretenir les lieux et leurs dépendances composées d'appartements privés où le souverain et les membres de sa famille pouvaient se retrouver lors de séjours temporaires à Thèbes, notamment à l'occasion de fêtes solennelles. Il ne s'agissait pas d'un lieu de résidence, mais bien plus d'un édifice à caractère officiel, où se tenaient réceptions et audiences, et parfois des cérémonies destinées à honorer les plus fidèles et dévoués dignitaires du royaume. En façade, une «fenêtre d'apparition» donnant sur la cour permettait de rendre publiques certaines manifestations. Un quartier mitoyen, récemment dégagé, où se trouve un complexe comprenant pas moins d'une dizaine de salles, constituait peut-être une annexe à ce palais, à moins que le secteur ait été plutôt réservé à un corps de l'administration du Ramesseum, voire éventuellement au logement de certains de ses fonctionnaires.

Depuis l'extérieur, l'accès au temple proprement dit et à ses divers quartiers se faisait par des portes cérémonielles ou de service. Là encore, un personnel était chargé de surveiller ces accès qui étaient confiés à des portiers. Si l'on ignore à combien s'élevait exactement leur effectif, deux de ces employés nous sont néanmoins connus : l'un, Mesou, fils de Neferhotep, d'après une inscription de la tombe TT.6 de Deir el-Medineh ; l'autre, Kyiry, attesté par un graffito de la tombe TT.51 (Ouserhat). Tous deux avaient, sans doute avec d'autres de leurs compagnons, cette mission quotidienne de garder les portes du Château d'Ousermaâtrê Setepenrê. On sait que beaucoup plus tard, en l'an 29 de Ramsès III, c'est près de l'une de ces entrées, la porte sud, que des artisans démunis de la Set Maât vinrent manifester pour obtenir leurs rations alimentaires qui n'avaient pas été versées depuis des décades par l'institution royale (14). Cet événement suggère, en l'occurrence, que près de soixante ans après la mort de Ramsès II, le Ramesseum entretenait toujours une activité.


reproduction de David Roberts en 1839


En plus de ses dépendances intra-muros, la fondation royale était également propriétaire de domaines agricoles, de jardins, de cheptels, d'écuries et d'étables dont plusieurs se trouvaient sur le territoire thébain, tandis que d'autres, comme les vignobles et les oliveraies par exemple, étaient situés à des centaines de kilomètres au nord. L'huile d'olive produite sur l'un des domaines de «Soleil des Princes», colosse de Ramsès II divinisé qui se dressait dans la première cour, provenait notamment du Delta. Les livraisons de vin, boisson surtout consommée pendant les fêtes et qui ne pouvait être conservée longtemps, parvenaient aussi, en grande partie, de cette région réputée pour sa viticulture. La «grande statue du roi de Haute et Basse Égypte Ousermaâtrê Setepenrê» (toujours celle du Ramesseum) y avait d'ailleurs des vignobles, ainsi que le rappellent quelques étiquettes de jarres retrouvées à Deir el-Medineh (15). Dans le nome de Ouaset, des fonctionnaires, comme Ptahemouia, Bakenamon, Parêemheb, Panefer et Meryptah géraient les cheptels de bêtes à cornes et les troupeaux que possédait le Château de Ramsès II. Les animaux étaient marqués au fer au nom du temple, moyen qui permettait de suivre une scrupuleuse comptabilité des élevages et, dans certains cas, de reconnaître des vols. C'est ainsi que sous le règne de Ramsès III encore, le seizième jour du premier mois de la saison d'été de l'an 29, un certain Pentaour et son compagnon Ouserhat, furent interpellés par la police pour avoir pris un boeuf «qui était marqué au fer du Château d'Ousermaâtrê Setepenrê» (16). D'autres exploitations, jardins et fiefs, que ceux attenants au temple, sont attestés par une série de documents qui mentionnent notamment leurs responsables. L'un de ces domaines, identifié pour être les «Eaux de Rê» et situé dans le nord du royaume, fut placé sous l'autorité de Kaï, Amenmès, Kes et Tcha[nefer]. «La Grande Terre Irriguée», un célèbre vignoble dont les sources indiquent qu'il se trouvait dans Ka-en-Kemet, fut administré par Djehoutymès, Baï et Ken (ou Kem), chacun ayant qualité de «chef des viticulteurs (ou des vignerons)» (17). Quant aux écuries royales, dont tout laisse à penser que l'une d'entre elles était proche du temple, sinon installée dans l'un des angles de son parvis comme à Medinet Habou, les archives demeurent jusqu'à présent silencieuses à leur sujet.



Outre sa hiérarchie administrative et économique, le Ramesseum avait sa propre organisation religieuse, composée d'un clergé dont les membres cumulaient parfois leurs charges sacerdotales avec d'autres, au sein même du temple ou dans le domaine d'Amon. Il n'était pas rare non plus que certains responsables ou prêtres de Karnak interviennent dans les affaires, notamment lorsqu'il s'agissait d'organiser les grandes fêtes divines qui prenaient place sur la rive occidentale. Le premier pontife de Karnak, intronisé par l'oracle, avec l'appui du roi, entretenait sans doute une relation continue avec les grands prêtres, tels que Ountaouat, Piaÿ, Amenwahsou, et bien d'autres encore, qui se succédèrent à la tête du temple de millions d'années de Ramsès II. Pour les besoins du culte journalier, mais aussi des divers rituels et fêtes qui rythmaient l'année, le premier pontife avait tout un personnel à sa disposition : des officiants de haut rang, mais aussi des ritualistes (Amenemipet, Ramsès-Meryamon, Ousermontou), des pères-divins, des prêtres-sem et des prêtres-ouab, dont le supérieur de la corporation fut, à un moment donné du règne, un certain Bakenkhonsou, affecté plus particulièrement au service du dieu Ptah. Pour ponctuer les liturgies, musiciennes ou musiciens, chantres et chanteuses (Bakensekhmet, Nesoutniout, Raïa, Neferaha, Taysneferet) sous la direction d'un chef, complétaient cet organigramme de fonctions.
En priorité, il fallait se consacrer aux cultes quotidiens, dont étaient honorés les dieux principaux, en la circonstance Amon-Rê, patron de Thèbes, et Ramsès II sous ses manifestations divines, notamment celle d'Amon-de-Ramsès. Dans la première cour, le colosse de «Soleil des Princes" devait posséder son propre clergé et jouir d'hommages solennels comme le laissent supposer les vestiges d'un édifice à colonnes qui se dressait à ses pieds. Celui de Touy, mère du roi, dut faire l'objet de mêmes égards (18). Il convenait aussi de vénérer les autres divinités qualifiées de «résidentes» dans le Château de Ramsès II, comme Atoum, Geb, Horus, Min-Amon, Nebet-Hetepet, Osiris, Ptah, Rê-Horakhty, Sekhmet, Shou, Sokaris, et qui, à ce titre d'invitées, bénéficiaient de rituels et d'offrandes. Certains prêtres leur étaient même affectés, comme Ousermontou et Bakenkhonsou pour Ptah, ou encore Nebmehyt pour Sokaris. Ces hommages supposaient la préparation de victuailles et un dispositif réglementé de processions pour converger vers les autels du temple. À l'abattoir pur, sans doute inscrit dans le bas-côté sud de la grande hypostyle, les sacrificateurs devaient se mettre à l'ouvrage ; dans les cuisines, il fallait préparer les mets qui puissent réjouir l'odorat des dieux ; et dans les jardins, horticulteurs et fleuristes avaient à composer avec art, les gerbes ou les bouquets montés dont seraient ornées les tables pendant les offices.




Selon le calendrier des fêtes du Ramesseum, démantelé de nos jours mais dont nous connaissons de nombreux fragments réutilisés tardivement à Medinet Habou (19), de grandes liturgies venaient rompre la monotonie du quotidien. Qu'il s'agisse des fêtes que l'on réservait à Sokaris, à Min, à Nehebkaou, à Amon-Rê lors de sa Belle Fête de la Vallée, de celle qui célébrait le nouvel an, ou que l'on destinait au roi pour honorer son nouveau jubilé, toutes étaient l'occasion de fastueuses réjouissances qui duraient plusieurs jours, voire des semaines, et occupaient fébrilement toutes les équipes du personnel. Les préparatifs demandaient alors d'embellir ou de restaurer les espaces du temenos, de pavoiser les pylônes d'oriflammes, de ravitailler les magasins en denrées, vin et bière, mais également en encens et baumes odoriférants, et de réglementer dans ses moindres détails le déroulement des processions, liturgies et cultes. La Belle Fête de la Vallée de même que celle dédiée à Sokaris étaient parmi les plus solennelles et nécessitaient que le long cortège où prenait place la nef divine, suivie des barques portatives sorties de leurs chapelles, empruntent depuis le parvis les majestueuses voies bordées de chacals ou de sphinx, qui entouraient le temple, avant de rendre visite aux mémoriaux et sanctuaires voisins (20). De telles manifestations, que pouvait présider le souverain en personne, supposaient que le haut clergé de Karnak soit présent ainsi que les grands du royaume. Sur place, c'était aussi pour la population locale et notamment les familles d'artisans de Deir el-Medineh, un temps de repos, de ferveur et de liesse, qui effaçait provisoirement dans la gaité et la bonne humeur partagées, les soucis et les lourdes fatigues de tous les jours ouvrés.

Durant le long règne de Ramsès II, le Ramesseum rayonna sur tout l'occident de Thèbes. Ses activités, intimement associées à l'histoire du nome, en constituèrent une composante administrative, économique et religieuse non négligeable, comme ce fut plus tard le cas pour le temple de Ramsès III à Medinet Habou. Vint cependant le temps où ce mémorial comme bien d'autres, fut affecté par la dégradation des rouages de l'institution royale, par les désordres répétés et causés par une moindre prospérité, par une insécurité grandissante, bref par autant de circonstances qui entraînèrent le royaume, mais peut-être plus la région, vers une irrémédiable crise de société dont l'issue conduisit à l'anarchie. Si, durant une bonne partie du règne de Ramsès III, le Ramesseum conserva encore son rôle de centre administratif, comme le suggère notamment le fait que certaines autorités, comme le gouverneur Piaÿ, y avait un office pour traiter les affaires de l'occident de la ville (21), et pouvait encore répondre à certains besoins économiques dans un contexte qui devenait pourtant de plus en plus difficile à maîtriser, il fut néanmoins touché à son tour par les événements qui assombrirent la fin du règne du fils de Sethnakht.
Certes, on continua d'entretenir les lieux, de gérer le personnel et de maintenir les rituels au cours des décennies suivantes ; des rois comme Ramsès IV et Ramsès VI firent même procéder à des restaurations de l'édifice de pierre en actualisant par leurs cartouches, les cours et salles du temple et en restructurant probablement certains espaces. Sous le règne de Ramsès VII, à l'instar des autres mémoriaux de l'occident de Thèbes, le Ramesseum fut placé sous l'autorité directe du grand pontife d'Amon de Karnak. En l'an 16 de Ramsès IX, on aménagea une dépendance de son palais en salle de requêtes, pour la distribution de lingots de cuivre à la communauté de Deir el-Medineh, en compensation de salaires que les autorités ne pouvaient plus verser aux artisans (22). Mais, c'est sous le règne de Ramsès XI que les pillages des nécropoles dévoilés au grand jour, montrèrent à quel point de faillite était alors parvenue l'institution royale. Comme les nécropoles, les temples de millions d'années ne furent pas épargnés par les sacrilèges, les saccages et les vols. Au Ramesseum, l'or, l'électrum, le cuivre et les bois rares, matériaux échangeables ou transformables ainsi que le rappellent les procès-verbaux, furent arrachés aux chapelles et aux portes (23). La vaisselle de culte, ainsi que tout ce qui restait de denrées et d'objets précieux dans les magasins et les ateliers furent dérobés sous l'oeil parfois complice de ceux qui étaient chargés de les protéger. À l'époque, les perquisitions, puis les rapports établis par les commissions d'enquête, en disent long sur le comportement des voleurs, sur l'état de corruption de la police, mais aussi sur la complaisance de certaines autorités du nome. En cette fin de l'époque ramesside, le constat est amer : pillé et profané, le célèbre château de Ramsès II, dans lequel les cultes divins ont été abandonnés, s'est vidé de son administration, de ses prêtres et de ses desservants. Ses entrepôts qui regorgeaient de vivres et de produits manufacturés sont dévastés. Toute vie semble avoir quitté les lieux. Désormais, seule la mémoire de celui que ses contemporains appelaient le "Grand Soleil d'Égypte", reste figée sur les immenses scènes qui couvrent encore les parois, mais que les carriers ne tarderont pas à venir entamer pour la construction de nouveaux édifices (24).


Christian LEBLANC

Directeur de Recherche Émérite au CNRS

Directeur de la Mission Archéologique Française de Thèbes-Ouest (UMR 8220/LAMS-CNRS/UPMC).

Le site du Ramesseum

Reportage

NOTES

(1) Cf. G. Haeny, «Zur Funktion des "Häuser für Millionen Jahre"», Ägyptische Tempel-Struktur, Funktion und Programm, HÄB 37, Hildesheim, 1994, pp. 101-106 ; J. J. Haring, Divine Households, Egyptologische Uitgaven XII, Leiden, 1997 ; Chr. Leblanc, «Les temples de millions d’années : une redéfinition à la lumière des récentes recherches. De la vocation religieuse à la fonction politique et économique», Actes du Colloque international sur les temples de millions d’années et le pouvoir royal à Thèbes au Nouvel Empire, Louqsor 3-5 janvier 2010, dans Cahier Supplémentaire des Memnonia, n° 2, Le Caire, 2010, pp. 19-57 ; S. Schröder, Millionenjahrhaus Zur Konzeption des Raumes der Ewigkeit im konstellativen Königtum in Sprache, Architektur und Theologie, Wiesbaden, 2010.

(2) Cf. Chr. Leblanc, «Quelques réflexions sur le programme iconographique et la fonction des temples de millions d'années», The Temple in ancient Egypt. New discoveries and recent research, Stephen Quirke éd., British Museum Press, Londres, 1997, pp. 49-56. Voir encore Memnonia VIII, 1997, pp. 93-105.

(3) Cf. H. Ricke (†), G. Haeny et L. Habachi, Untersuchungen im Totentempel Amenophis’III. BÄBA 11, Wiesbaden, 1981 ; H. Jaritz, «Kom el-Hettan. Le plus vaste de tous les sanctuaires», Les Dossiers Histoire et Archéologie, n° 136, Dijon, 1989, pp. 46-49 ; H. Sourouzian, «The Temple of Millions of Years of Amenhotep III : Past, Present and Future Perspectives», Cahier Suppl. des Memnonia, n° 2, 2010, pp. 91-98. Pour la récente bibliographie sur ce temple, cf. Cahier Suppl. des Memnonia, n° 2, pp. 29-30.

(4) M. Nelson, «Les fonctionnaires connus du temple de Ramsès II. Enquête à partir des tombes thébaines», Memnonia I, 1991, pp. 127-133 ; M. Nelson, «Les fonctionnaires du Ramesseum», dans Chr. Barbotin et Chr. Leblanc, Les monuments d'éternité de Ramsès II. Nouvelles fouilles thébaines, Paris 1999, pp. 58-62 ; Chr. Leblanc, G. Lecuyot et M. Maher-Taha, «Documentation, recherches et restauration au Ramesseum : bilan et perspectives», Egyptology at the Dawn of the Twenty-first Century. Proceedings of the Eighth International Congress of Egyptologists, Cairo 2000, vol. 3, Le Caire, 2003, pp. 257-266 ; Chr. Leblanc, «Bilan de vingt campagnes de recherches et d'études dans le temple de millions d'années de Ramsès II à Thèbes-Ouest», Cahier Suppl. des Memnonia, n° 2, Le Caire, 2010, pp. 105-118 et pl. XV-XVII.

(5) Ouvrage mis en chantier avant la fin de l'an 2 du règne. Sur Penrê, originaire de Coptos : cf. C. F. Nims, «A stele of Penre, builder of the Ramesseum», MDAIK 14, 1956, pp. 146-149 ; S. G. Gohary, «The Remarkable Career of a Police Officer», ASAE 71, 1987, pp. 97-100 et fig. 1 ; KRI, III, 268-271 ; J.-C. Goyon, «Penrê, conducteur des travaux au Ramesseum, et son étrange histoire», Memnonia I, 1991, pp. 53-65; Chr. Barbotin, Les monuments d'éternité de Ramsès II, Paris 1999, pp. 33-34, [7] ; Chr. Leblanc, «Deux nouveaux "cônes funéraires" au nom de Penrê, doyen des medjayou», Memnonia XXII, 2011, pp. 95-103 et pl. XV-XVII. Pour Ameneminet, originaire d'Abydos, qui prit le relais sur le chantier : cf. KRI, III, 272-277 ; J. Lipinska, «Amenemone, Builder of the Ramesseum», Études et Travaux, 3, 1969, pp. 42-49 ; J. Lipinska, Deir el-Bahari IV, Varsovie, 1984, p. 24 (cat. 18) et 37 ; M. Trapani, «Sur l'origine de la statue-groupe de la famille d'Ameneminet, directeur des travaux du Ramesseum. Naples inv. n° 1069», Memnonia VII, 1996, pp. 123-137 et pl. XXXIV-XXXIX.

(6) M. Barwik, «Overseer of the Treasury Tia at Deir el-Bahari», Memnonia XVIII, 2007, pp. 67-70 et pl. VII-VIII. Sur la tombe de ce dignitaire, à Saqqarah, cf. G.-T. Martin, «The Tomb of Tia and Tia : Preliminary Report on the Saqqâra Excavations, 1983», JEA 70, 1984, pp. 5-12 ; G.-T. Martin, The Tomb of Tia and Tia. A Royal Monument of the Ramesside Period in the Memphite Necropolis. Egypt Exploration Society, Londres, 1997. Pour les autres monuments connus : cf. J. Malek, «Two Monuments of the Tias», JEA 60, 1974, pp. 161-167 ; K. Mysliwiec, «Zwei pyramidia der XIX. Dynastie aus Memphis», SAK 6, 1978, pp. 153-155 ; KRI, III, 366-372.

(7)À la XVIIIème dynastie, un certain Amenemhat (règne de Thoutmosis III) est attesté pour avoir occupé cette fonction (TT.182 = PM, TB, I1, p. 289). Le Pap. Turin inv. cat. n° 2021, rt. 4, 2, signale un prêtre-ouab, Ptahemheb, également "scribe de la natte/du cadastre" (fonction rattachée à la kenbet) : cf. J. Černý et T. E. Peet, «A marriage settlement of the twentieth dynasty», JEA 13, 1927, pl. XIV ; B. J. J. Haring, Divine Households, p. 223). Hori, «directeur des greniers» du temple de Ramsès III à Medinet Habou en l'an 7, cumulait sa charge avec celle de sS n tmA : cf. KRI, VI, 601 et 627.

(8) Deuxième personnage de l'État, le vizir représentait le roi pour la gestion administrative du royaume. La fonction fut dédoublée au cours de l'époque ramesside. Paser (TT.106) occupa déjà d'importantes charges sous le règne de Sethi Ier. Il fut nommé vizir avant même que Ramsès II n'accède au pouvoir et assuma cette tâche notamment pour la Haute Égypte. Encore en poste lors du traité de paix avec les Hittites en l'an 21, il adressa une lettre de félicitations à Hattousili III. Khay (homonyme du gouverneur du Ramesseum) prit, semble-t-il, la relève vers l'an 27/28. Neferronpet exerça également cette fonction sur le Sud, vers l'an 57 du règne (sa tombe aurait été retrouvée à Saqqarah, lors de fouilles menées entre 1984 et 1988 par l'Université du Caire). La gestion du Nord fut assurée entre l'an 16 et 42, par un vizir du nom de Rahotep ou Parahotep (originaire d'Abydos et maire de Memphis) et, vers l'an 52, par un autre, portant le même nom, mais originaire de Sedment el-Gebel (maire et vizir de Pi-Ramsès). Cf. W. Helck, Zur Verwaltung des Mittleren und Neuen Reiches. Probleme der Ägyptologie 3, Leiden 1958 ; KRI, I, 285-301 ; III, 1-36 (pour Paser) ; KRI, III, 36-46 (pour Khay) ; KRI, III, 47-51 (pour Neferronpet) et KRI, III, 52-67.

(9) Sur les maires ou gouverneurs de Thèbes à l'époque de Ramsès II : cf. W. Helck, Zur Verwaltung des Mittleren und Neuen Reiches. Probleme der Ägyptologie 3, Leiden 1958 ; Chr. Leblanc, «Un fragment de statue naophore au nom de Païây, et les gouverneurs de Thèbes au Nouvel Empire», Memnonia XVI, 2005, pp. 72-74. On y ajoutera encore, pour ce règne : Nefermenou (TT.184 = PM , TB I1, pp. 290-291 ; KRI, III, pp. 162-163, 99) et Hounefer (TT.385 = PM, TB, I1, p. 437 ; KRI, III, pp. 163-164, 100 ; A. Fakhry, «Three unnumbered tombs at Thebes» ASAE 36, 1936, pp. 126-129 ; sarcophage Fitzwilliam Museum = KRI, p. 164).

(10) C'est, semble-t-il, à partir de l'époque ramesside, que la fonction de «scribe du nome» aurait été dédoublée : l'un étant affecté à l'est, l'autre étant préposé à l'ouest du territoire : cf. J.-C. Goyon, «Hori de Thèbes, loyal serviteur méconnu de Ramsès II et les "scribes du nome thébain" du Nouvel Empire. (Statue Cachette de Karnak K 647 et Groupe Louvre A.68-N.69)», Memnonia XXII, 2011, pp. 170-173.

On observera également que des échanges existaient entre les différents temples de millions d'années : cf. B. J. J. Haring, Divine Households, pp. 383-384. Au Ramesseum, des étiquettes et des bouchons de jarres indiquent que de l'huile de moringa ou du vin pouvait venir de domaines appartenant au temple de Séthi Ier en Abydos : cf. J.E. Quibell, The Ramesseum, London 1896, pl. XI, 9-10 ; W. Spiegelberg, Hieratic Ostraka & Papyri found by J.E. Quibell in the Ramesseum, London, 1898, pl. XIX (141), XXI (168) ; G. Lecuyot, «À propos de quelques bouchons de jarres provenant du Ramesseum», Memnonia VIII, 1997, pp. 107-118.

(11) Cf. J. Berlandini-Grenier, «Le dignitaire ramesside Ramsès-em-per-Rê», BIFAO 74, 1974, pp. 18-19 ; W. F. Petrie, Six Temples at Thebes. 1896. London, 1897, pl. VIII-3 et p. 21, fig. 3 ; Chr. Leblanc, «Les grèves de l'an 29 de Ramsès III et la porte sud du Ramesseum», Memnonia XXII, 2011, pp. 105-117, et plus particulièrement pp. 115-117.

(12) Sur l'école du Ramesseum, voir déjà : Ch. Leblanc, «L'école du temple (ât-sebaït) et le per-ankh (maison de vie). À propos de récentes découvertes effectuées dans le contexte du Ramesseum», Memnonia XV, 2004, pp. 93-101 = Proceedings of the Ninth International Congress of Egyptologists. Grenoble, 6-12 september 2004, Orientalia Lovaniensia Analecta 150, Éd. Peeters, Louvain, 2007, pp. 1101-1108 ; Ch. Leblanc, «L’école des scribes de Ramsès II», La Recherche. L’Actualité des Sciences, n° 379, Paris, (octobre) 2004, pp. 70-74 Chr. Leblanc, «L’éducation, la formation des scribes et les institutions d’enseignement dans l’Égypte ancienne», Senouy. Bulletin de l’Association dauphinoise d’égyptologie, n° 6, Grenoble, (septembre) 2007, pp. 28-30 ; Ch. Leblanc, «"Labet el-al" ou "bawawah"» : un jeu d’adresse égyptien vieux de plusieurs millénaires", dans Hommages à Jean-Claude Goyon, BdE 143, Le Caire, 2008, pp. 261-265 et fig. 1-6.

(13) Lors d'une commission d'enquête conduite vers la fin de l'époque ramesside, un certain Pseny, prêtre-ouab et gardien semble-t-il en poste au palais royal du Ramesseum, fut questionné à propos de la disparition du cuivre des portes du palais : T. E. Peet, The Great Tomb-robberies, pl. XXII (Pap. BM.10383 rt. 2, 4 et 5) ; B. J. J. Haring, Divine Households, pp. 222-223.

(14) Pap. des Grèves de Turin, inv. cat. n° 1880 : cf. Chr. Barbotin, dans Les monuments d’éternité de Ramsès II, Paris 1999, pp. 38-39. Sur ce sujet, voir encore P. Vernus, Affaires et scandales sous les Ramsès, Ed. Pygmalion, Paris, 1993, p. 75 sq.

(15) Sur les oliveraies et vignobles, propriétés du colosse «Soleil des Princes» du Ramesseum, cf. Y. Koenig, Catalogue des étiquettes de jarres hiératiques de Deir el-Medineh, fasc. I, DFIFAO 21/1, Le Caire, 1979, pl. 6 (n° 6051) et pl. 9 (n° 6079, an 7) ; KRI, II, 689, n° 311 ; G. Bouvier, «Le contenu du magasin H'''34 du Ramesseum», Memnonia XIV, 2003, pp. 63-68. Des livraisons d'huile d'olive ou de vin provenant de domaines d'une autre statue du roi («Montou-dans-les-Deux-Terres») sont également attestées pour le Ramesseum : P. Tallet, «Les circuits économiques selon les étiquettes de jarres de Deir el-Médineh», dans G. Andreu (éd.), Deir el-Medineh et la Vallée des Rois : La vie en Égypte au temps des pharaons du Nouvel Empire. Actes du colloque organisé par le musée du Louvre les 3 et 4 mai 2002, Paris, 2003, pp. 266-268 ; G. Bouvier, Memnonia XIV, 2003, p. 65.

(16) Pap. des Grèves de Turin, inv. cat. n° 1880 : cf. traduction dans Chr. Barbotin, Les monuments d'éternité de Ramsès II, Paris, 1999, p. 39.

(17) Cf. K. A. Kitchen, «The Vintages of the Ramesseum», Studies in Pharaonic Religion and Society for J. Gwyn Griffiths, Londres, 1992, pp. 115-123 ; B. J. J. Haring, Divine Households, pp. 351-353.

(18) Un colosse de la mère de Ramsès II, de près de 9 m de haut, se dressait dans la première cour, côté sud, près de celui de «Soleil des Princes». Il est actuellement en cours de remontage. Touy semble avoir partagé avec Nefertari (grande épouse royale), un culte dans l'édifice hathorique qui jouxtait la grande salle hypostyle du Ramesseum, côté nord. Ce monument, interprété pour être un mammisi (cf. Chr. Desroches Noblecourt, «Le mammisi de Ramsès au Ramesseum», Memnonia I, 1991, pp. 25-46) est peut-être l'édifice auquel fait allusion le Pap. BM. 10052, rt. 6, 3-6 (= KRI, VI, 782, 1). Il reste également toujours à confirmer si c'est bien à ce «mammisi» qu'était affecté, à l'occident de Thèbes, un certain Youy, qu'une stèle signale pour avoir été scribe royal mais surtout «gouverneur du château de la grande épouse royale Nefertari Meritenmout» (stèle Berlin n° 2080 = G. Roeder, Ägyptische Inschriften, II, pp. 143-144; KRI, III, 186, 7-8 ; Chr. Leblanc, Nefertari, l'Aimée de Mout, Monaco, 1999, p. 41 et n. 42). Si la propriétaire de ce temple est bien la grande épouse royale de Ramsès II, on voit mal où il aurait pu être aménagé sinon dans le périmètre du Ramesseum.
Concernant le culte réservé aux statues royales, il pouvait avoir lieu parfois en dehors du
temenos proprement dit, comme ce fut notamment le cas de celui rendu à la statue de Ramsès II dressée à Deir el-Medineh par Ramose, en l'an 9 du règne, et dont les offrandes provenaient du Ramesseum (ce qui suggère que le temple était déjà en activité vers la fin de la première décennie du règne).

(19) Plusieurs blocs du calendrier des fêtes du Ramesseum ont été réutilisés dans les additions ptolémaïques du petit temple de Medinet Habou : cf. H. H. Nelson et U. Hölscher, «Work in Western Thebes 1931-33», OIC 18, Chicago 1934, pp. 25-29 et fig. 11 ; H. H. Nelson et alii., Medinet Habu III, OIP 23, The Calendar, The "Slaughterhouse", and the Minor Records of Ramses III, Chicago, 1934, pl. 187-189 et 190. Un autre bloc appartenant à ce même calendrier a été retrouvé au Ramesseum, en 2011, le long du bas-côté sud du temple. On y lit une énumération de quatre variétés de vins que l'on devait verser en offrande à l'occasion de réjouissances solennelles. Voir encore B. J. J. Haring, Divine Households, pp. 54-63.

(20) Sur ces grandes voies processionnelles qui entouraient le Ramesseum, cf. G. Lecuyot, «Que cache le cavalier de déblais du Ramesseum ? », Memnonia I, 1991, pp. 109-118 et pl. XXIII-XXV ; M. Nelson, «L'allée processionnelle nord du Ramesseum», Memnonia XXII, 2011, pp. 119-131 et pl. XXIV-XXXIV.

(21) Cf. R. Ventura, Living in a City of the Dead, OBO 69, Göttingen 1986, p. 93 et n. 53 ; P. Grandet, Ramsès III. Histoire d'un règne, Paris, 1993, p. 226 ; KRI, V, 561, 3-4 = A.207 (ODM 687). Piaÿ semble avoir été en fonction entre les années 16 et 26 de Ramsès III.

(22) Cette «salle des requêtes» (cf. Wb. II, 293, 10) fut le lieu d'une remise de cuivre à l'institution de Deir el-Medineh (cf. Pap. Turin cat. 1884 + fragments Pleyte et Rossi, pl. 76, 1-2 et 7). À cette époque, il n'était pas rare de procéder à la distribution de matériaux en guise de rations ou salaires pour les artisans. Cf. Pap. Turin cat. 1903, v° II,12 ; D. Valbelle, «Les ouvriers de la Tombe». Deir el-Médineh à l'époque ramesside, BdE 96, IFAO, Le Caire, 1985, pp. 149-150 et n. 1, 152.

(23) Sur ces événements, cf. P. Vernus, Affaires et scandales sous les Ramsès, Paris 1993, pp. 47-49.

(24) Si plusieurs des successeurs de Ramsès II (notamment Merenptah, Amenmès, Ramsès III jusqu'à Ramsès VI) ont laissé leurs noms dans l'édifice, suggérant que le Ramesseum continuait à assumer ses activités économiques et religieuses, il semble bien que ce soit à la fin de l'époque ramesside et au début de la Troisième Période Intermédiaire que furent entrepris les premiers démantèlements. Lors de la transformation des lieux en nécropole à la XXIIème dynastie et peut-être même un peu avant, plusieurs concessions funéraires furent établies dans le temple proprement dit, dont les murs étaient encore debout. Sans doute préparées pour des membres du haut-clergé thébain, elles furent aménagées dans les chapelles latérales du sanctuaire et dans celles des bas-côtés sud et nord de la salle hypostyle. Sur les voies processionnelles entourant le temple, les dromos furent, en revanche, détruits pour laisser place à d'autres tombes, notamment au moment où la nécropole s'étendit vers le nord et vers l'ouest. Durant les XXVème et XXVIème dynasties, on vint chercher des matériaux au Ramesseum pour construire les chapelles funéraires des divines adoratrices implantées sur le parvis du temple de Ramsès III à Medinet Habou : plusieurs jambages de portes au nom de Ramsès II, arrachés aux portes des magasins, ont servi à dresser les murs de ces édifices. Au cours de la XXIXème dynastie, de nouveaux besoins de blocs entraînèrent la démolition du «mammisi» pour agrandir le petit temple périptère de Medinet Habou. Plus tard, ce fut au tour des Ptolémées de puiser dans les pierres du Ramesseum : le premier pylône, sans doute en partie déjà effondré, comme les murs périmétraux du temple proprement dit et le palais royal, furent autant de secteurs où l'on récupéra des blocs pour bâtir le temple d'Hathor-Maât à Deir el-Medineh (Ptolémée IV, Ptolémée VI) et entreprendre de nouvelles extensions à Medinet Habou (pylône inachevé de Ptolémée VIII). À l'époque romaine, on continua ces démantèlements pour mettre en oeuvre, sous le règne d'Antonin le Pieux, l'agrandissement du temple ptolémaïque de Medinet-Habou. Des blocs provenant du Ramesseum furent également utilisés pour les fondations du temple d'Isis et de Montou à Deir el-Chelouît (datant de l'époque des empereurs Galba, Othon, Vespasien, Domitien, Hadrien et Antonin). Enfin, il semble que ce soit à l'époque romano-byzantine, puis encore au Moyen Âge que d'autres carriers vinrent, cette fois, chercher, outre le grès, le calcaire qui avait servi à la fondation des murs : une grande partie de ces énormes blocs qui comblaient les tranchées du sanctuaire disparurent ainsi pour alimenter les fours à chaux. En somme, seul le coeur du temple échappa, en partie, à ces destructions successives.

* Texte © Christian LEBLANC [CNRS].

Publication plus développée dans : Memnonia, tome XXIII, Le Caire 2012, pp. 81-98 et pl. XV-XVIII.